Par Claire Leconte,
Professeur émérite de psychologie de l’éducation, chercheuse en chronobiologie et spécialiste des rythmes des enfants et adolescents.
Comme peu de professionnels connaissent le fonctionnement des rythmes biologiques des enfants et des adolescents mais également des leurs, beaucoup d’erreurs sont faites dans l’aménagement des temps quotidiens de ces enfants et adolescents.
Non seulement il serait indispensable de faire une formation sur ce thème aux enseignants, mais également aux professionnels autres tels les agents de collectivité entre autres.
Mais il serait aussi important de rendre acteurs les collégiens eux-mêmes du respect de leurs rythmes biologiques.
Pour ce faire les collèges devraient organiser des ateliers sur le thème, avec un expert, ce que j’ai beaucoup fait tant en collèges qu’en lycées. Une des erreurs commises par beaucoup d’adultes est de considérer qu’une fois adolescents, ils deviennent tous couche-tard. C’est totalement faux.
Nos rythmes biologiques sont génétiquement programmés, à la naissance chaque bébé aura un programme génétique concernant ses rythmes, comme il en a pour la couleur de ses yeux par exemple.
Cela signifie qu’on ne peut pas les bousculer comme on le souhaiterait, mais aussi que dans une fratrie, tous les enfants n’ont pas forcément la même programmation. D’autre part, nous sommes toutes et tous classé-e-s dans trois catégories concernant particulièrement notre rythme veille-sommeil.Entre un an et demi et deux ans se met en place une première catégorie. En fonction de leurs programmes génétiques, les enfants seront soit petits dormeurs, soit moyens dormeurs soit gros dormeurs. Cette spécificité restera tout au long de leur vie. Il y a à peu près deux heures de décalage sur les 24 h du rythme veille-sommeil, entre les petits et gros dormeurs. Ce qui nécessite certains aménagements également en élémentaire.
À la puberté, deux autres spécificités apparaissent.
D’une part une deuxième catégorie qui se croise avec la première précédemment expliquée, qui va classer les adolescents en trois catégories. Ils seront - et ce, toute leur vie - soit matinaux (ou lève-tôt), soit intermédiaires, soit vespéraux (ou couche-tard). Cette catégorie se croise avec la première. On aura alors des adolescents petits dormeurs et matinaux ou petits dormeurs et vespéraux, d’autres gros dormeurs et vespéraux ou gros dormeurs et matinaux ou encore gros dormeurs et intermédiaires, etc.
D’un point de vue social, les personnes les plus en souffrance sont les gros dormeurs, vespéraux, commençant le travail à 8 h le matin.
Une autre spécificité apparaît à la puberté, qu’il faut prendre en considération pour aménager les emplois du temps des collèges. Cette spécificité est que se produit un retard de phase physiologique qui touche tout leur organisme et tous les adolescents le temps de leur puberté.
Cela signifie que toutes leurs horloges biologiques sont repoussées d’une heure. Ils s’endormiront une heure plus tard que peu avant, se réveilleront spontanément aussi une heure plus tard, auront faim une heure plus tard, etc.
Lorsque j’ai fait des ateliers, j’ai fait passer aux adolescents les outils que j’utilise dans mes recherches. Il faut savoir, les parents en particulier, que dans toutes les classes, il y avait environ entre 25 et 30% de vrais matinaux. Certains m’ont dit comprendre enfin pourquoi ils arrivent zombies le matin au collège ou lycée. Ils m’expliquaient qu’effectivement ils sont toujours réveillés spontanément relativement tôt, tous les matins, mais ils jouent en ligne avec les copains, le soir jusqu’à pas d’heure. Ils manquent de fait de beaucoup de sommeil, surtout de celui qui permet de récupérer de la fatigue de la journée mais aussi qui affermit notre auto-immunité, entre autres qualités.
D’où l’importance de les rendre acteurs du respect de leurs besoins. J’ajoute que ces ateliers que j’ai faits ont commencé dès la MS de maternelle, et sachez que ces jeunes enfants ont fort bien compris ce que je leur ai appris. Une fois que l’on a acquis toutes ces connaissances, on peut réfléchir correctement à l’aménagement des temps des collégiens.
Ce pourquoi j’ai plusieurs conseils à donner.
D’une part il faudrait éviter de commencer les cours à 8 h le matin.
En effet il n’est pas rare qu’il y ait des collégiens qui doivent prendre un bus scolaire, or beaucoup doivent le prendre à 7 h ce qui les oblige à se lever à 6 h le matin. À cause du retard de phase que j’ai expliqué ci-dessus, ils perdent tout leur dernier cycle de sommeil qui est celui qui possède le plus long temps du sommeil important pour les apprentissages.
Les USA et l’Angleterre ont expérimenté dans certains établissements du secondaire un retard des cours qui ne commençaient qu’à 9h ou même 9h30 selon les établissements.Ils ont constaté des effets très positifs, en particulier sur les résultats scolaires.
Autre conseil important, c’est de construire des emplois du temps pour les élèves et non pour satisfaire certains enseignants.
Par exemple ne jamais placer l’EPS, sauf gymnastique douce, à 13h30 comme je l’ai vu un peu partout. À ce moment de la journée, on est dans ce que les chrono-biologistes appellent le creux méridien. Notre organisme connaît alors une baisse physiologique globale, qui explique le coup de pompe que m’ont dit ressentir beaucoup d’adultes après le repas de midi. Sachez que ce coup de pompe n’est pas le fait que l’on est en train de digérer, même si vous n’avez pas mangé, vous l’aurez.
Je faisais une conférence sur ce thème dans un centre social, une dame présente demande la parole et me dit ; « je viens enfin de comprendre pourquoi quand je fais ramadan j’ai toujours ce coup de pompe » !
Certains adolescents m’ont aussi demandé pourquoi on leur fait faire EPS à 13h30, ils doivent courir pendant 1h30, puis ils ont histoire-géo et « on se fait engueuler parce que tout le monde s’endort »!
Je conseille également de bien gérer les matinées, souvent assez longues au collège. Il est important de mettre en place une alternance de séquences pédagogiques coûteuses cognitivement avec d’autres moins coûteuses.
Ainsi les maths et le français souvent considérées comme seules fondamentales, sont souvent des séquences abstraites, donc coûteuses du point de vue cognitif. Si on introduit chaque matin de la musique, de l’EPS, de l’histoire géo, une langue vivante, de l’art plastique, on alternera une séquence abstraite avec une autre comprenant de la créativité ou de la motricité ou de la découverte, et on peut alors revenir à une séquence abstraite car les élèves auront eu un temps de respiration. L’intérêt d’une telle organisation est qu’on permet à certains élèves de développer leur expertise soit en musique soit en art plastique, etc, alors qu’ils sont loin d’être les meilleurs en maths. Cela permet de leur redonner confiance en eux et même pour quelques-uns, de développer vraiment ce qui deviendra une passion pour eux.
L’autre intérêt, mais ce à condition que l’équipe enseignante travaille véritablement ensemble, est qu’on va pouvoir travailler avec les collégiens sur le transfert d’apprentissage. Ainsi si on fait maths après la musique, si les enseignants connaissent leur emploi du temps, on peut leur démontrer l’importance de s’intéresser aux maths quand on fait de la musique.
Il y a ainsi bien d’autres exemples possibles. Je ne répéterai jamais assez qu’on n’apprend pas à lire et faire des maths qu’en français et en maths. Quand on doit apprendre un résumé d’histoire ou géo, il faut évidemment bien le lire !
Autre conseil important : laisser sur le temps de midi une salle disponible pour les élèves pour qu’ils puissent aller se poser plutôt que de s’exciter dans la cour.
Là où j’ai fait des ateliers, de nombreux élèves m’ont fait savoir que si une salle était ouverte, ils iraient volontiers s’y poser pour jouer tranquillement ou lire des BD ou tout simplement se relaxer. Dans un collège avec lequel j’avais travaillé, nous avons mis en place une salle de zen attitude, avec simplement des rideaux pour obscurcir un peu, de la musique douce et des transats. La salle était constamment utilisée. Les enseignants de ce collège m’ont demandé si eux aussi pouvaient y aller !
J’ajoute encore, mais ce n’est pas propre au collège, que les ados doivent cesser d’utiliser leur téléphone comme réveil matin, car beaucoup le mettent sous l’oreiller, mais pas en mode avion, ce qui envoie un champ magnétique qui pénalise la qualité du sommeil, beaucoup m’ont avoué que quand ils reçoivent un sms à 3 h du matin ils y répondent !
Comment être en bonne forme pour travailler correctement quand on a un sommeil de moindre qualité ?
Un dernier conseil, totalement différent.
Il serait utile que les collèges organisent une Éducation au choix, dès la 6ème.
Cela permettrait que les élèves soient capables de choisir leur orientation par eux-mêmes, sans être influencés, ni par les profs ni par les parents. Cela implique forcément qu’on les aide à découvrir ce qui peut réellement les passionner, mais aussi qu’on arrête de minimiser les professions manuelles alors que certains peuvent devenir de vrais experts reconnus dans de tels métiers.N’oublions jamais que tout emploi du temps scolaire doit être au service des élèves !
Claire Leconte
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