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Renforcer l’autorité de l’adulte pour mieux lutter contre le harcèlement scolaire

Par Hafid ADNANI, inspecteur d’académie, inspecteur pédagogique régional – « Etablissements et Vie Scolaire » - et conseiller - harcèlement scolaire – de la rectrice de l’académie de Nice.


Le programme national de lutte contre le harcèlement scolaire « pHARe », porté par le ministère de l’Education nationale depuis 2021, propose, dans son volet « traitement des situations de harcèlement scolaire », la « méthode de la préoccupation partagée française » de Jean-Pierre Bellon[1] et Marie Quartier[2].  C’est le chercheur suédois Anatol Pikas[3] qui est à l’origine de cette méthode dans les années 70. Son principe, qui a fait ses preuves, est l’intervention indispensable de l’adulte, car le jeune, « harceleur » ou « harcelé » potentiel, ne peut s’en sortir seul.


La discipline scolaire correspond au cadre mis en place, ainsi qu’à l’action de l’adulte pour faire respecter les règles. Elle est un soutien pour l’autorité qui est plus subjective, et qui laisse à l’adulte une liberté d’action et d’adaptation. L’autorité ne se décrète pas, elle ne peut pas être du ressort de la contrainte.

 

L’autorité éducative se construit, selon Christophe Marsollier [4], grâce à la capacité de prendre en considération les besoins des élèves, notamment : le respect, la justice et la sécurité. L’autorité éducative ne peut se construire sans que les adultes n’allient à la fois bienveillance et fermeté.

 

Ajoutons que pour Paul Ricœur [5], la justice, essentielle donc à la construction de l’autorité, est en échec chaque fois que deux conditions ne sont pas remplies : la reconnaissance et la réparation.

 

C’est tout cela que propose la méthode de la préoccupation partagée française pour le traitement des situations de harcèlement scolaire.  Cette méthode, à la fois préventive et curative, est en effet basée sur la bienveillance et la fermeté de l’adulte ; sur « la reconnaissance » de la souffrance de la victime et « la réparation » par les auteurs présumés des brimades, invités par les adultes à prendre conscience de la souffrance de la victime et à agir pour contribuer à l’arrêter.

 

Le harcèlement scolaire en France  

Il a fallu attendre l’année 2010 pour qu’une prise de conscience réelle, par l’Institution « Education nationale », survienne en France sur la question du harcèlement scolaire[6]. En Suède, à titre d’exemple, les travaux scientifiques sur le sujet datent de 1970.

Dans les autres pays d’Europe et du monde, le harcèlement entre élèves n’est pas qualifié de « harcèlement ». Ce choix d’utiliser le mot « harcèlement » pour qualifier le harcèlement scolaire date de 1999, et crée de la confusion entre le harcèlement scolaire, donc entre élèves, et le harcèlement entre adultes.  

Le harcèlement entre élèves est un phénomène complexe qui doit être pensé, à l’aune de la recherche internationale, avant d’être combattu.


Intimidation ?

Jean-Pierre Bellon préfère le mot « intimidation » que nous utilisons également dans cet article. Ce mot permet d’élargir le panel de la violence entre élèves à laquelle on s’intéresse ici, et ainsi agir dès les premiers signaux, même faibles. Le harcèlement scolaire est défini par les chercheurs comme une intimidation répétitive et caractérisée par le déséquilibre des forces, entre le ou les intimidateurs, et leur cible.


Un phénomène de groupe

Le harcèlement scolaire, selon la recherche, est essentiellement un phénomène de groupe. Les élèves intimidateurs, souvent pris dans ce tourbillon du groupe, n’ont pas nécessairement l’intention de nuire car il est très difficile pour un élève de s’extraire de l’emprise d’un groupe, le plus souvent d’ailleurs par peur d’en être exclu et d’être soi-même potentiellement victime de brimades.

La main secourable de l’adulte est indispensable pour sortir les élèves de ce tourbillon, nous dit également la recherche. Par conséquent, renforcer l’autorité éducative de l’adulte est une des conditions nécessaires à la lutte contre le harcèlement scolaire.


Un « harceleur »  et un « harcelé » ?

Penser le harcèlement scolaire comme le phénomène complexe qu’il est, c’est avant tout ne pas le considérer comme une violence qui se résumerait à une interaction entre un « harceleur » et un « harcelé », qui auraient par ailleurs des profils particuliers. C’est la manière la plus efficace de le prévenir, après l’avoir repéré dans l’idéal dès ses « signaux faibles », et donc de le combattre, tel que le préconisait dès 1970 Anatol Pikas.

La méthode de la préoccupation partagée française consiste à viser comme objectif la prise de conscience de chaque « intimidateur présumé » des graves conséquences de ses actes. Il s’agit aussi, dans le même temps, de prendre en considération la souffrance de la cible en mettant en place un accompagnement de celle-ci, en lien étroit, il va de soi, avec ses parents.  


Profils d’élèves « harceleurs » ou « harcelés » ?

Penser que ce sont des élèves à profils particuliers  qui seraient les acteurs du harcèlement scolaire, qu’il s’agisse de l’élève cible ou de l’élève intimidateur, est une erreur grossière.  Cette manière de voir les choses essentialise davantage la cible, la culpabilise même de surcroit et condamne l’intimidateur, d’une certaine façon, à ne pas s’améliorer. Elle est à l’inverse du but de l’Education qui repose sur la « perfectibilité de l’Homme » chère à Condorcet. Le pari qui est fait pour « la réparation » par les élèves intimidateurs, est celui de leur donner l’occasion d’agir pour que la situation s’améliore et que la souffrance de la cible cesse.  

Pour ce qui est du supposé « profil » des cibles : cette manière de voir les choses revient à adopter le point de vue des intimidateurs qui sont toujours à la recherche de « stéréotypes de persécution »[7] pour justifier leurs actes d’une certaine manière ; alors même que pour reconnaitre la souffrance de la cible, il est indispensable de prendre en compte son point de vue à elle.

Insistons ici également sur le fait que le harcèlement scolaire existe dans tous les milieux sociaux et dans tous types d’établissements.


La co-éducation

Les parents, membres à part entière de la communauté éducative, doivent être associés par l’Ecole à la mobilisation générale pour la lutte contre le harcèlement scolaire. L’association des parents à cette lutte est une condition nécessaire et suffisante à sa réussite.

Les partenaires de l’école également, comme les collectivités territoriales et les associations, doivent être invités, à chaque fois que c’est nécessaire et possible, à collaborer avec l’Ecole pour sensibiliser, prévenir voire lutter contre le harcèlement scolaire.

Mais davantage que la méthode de la préoccupation partagée elle-même qui a, bien sûr, ses limites, c’est l’implication des adultes et leur autorité éducative qui sont importantes.

L’expérience montre que dans les établissements et les écoles ou l’autorité de l’adulte est mise à mal et où le climat scolaire est dégradé, le harcèlement scolaire prolifère. Les acteurs des écoles, des collèges et des lycées, ainsi que les parents d’élèves, en partenariat avec les acteurs du territoire, doivent travailler ensemble en toute confiance, pour renforcer l’autorité éducative des adultes, afin de mieux lutter contre ce fléau.

 


[1] Jean-Pierre Bellon est professeur de philosophie et pionnier en France de la lutte contre le harcèlement scolaire. Co-fondateur du Centre ReSIS, 

[2] Marie Quartier, professeur agrégé de lettres, formée à l’approche systémique et licenciée de psychologie, a fondé l’association Orfeee qui se consacre à l’étude et au traitement des souffrances scolaires en 2014.

[3] Anatol Pikas, né le 29 novembre 1928 à Viljandi (Estonie) et mort le 1ᵉʳ novembre 2021 à Uppsala (Suède), est un professeur honoraire en psychologie de l'éducation. Il est à l’origine de la méthode de traitement des situations de suspicion de harcèlement scolaire, qui porte son nom. 

[4] Christophe Marsollier est docteur en sciences de l'éducation, inspecteur général de l'Éducation Nationale et maître de conférences.

[5] Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, 2004

[6] Lettre de mission du ministre Luc Châtel au chercheur Eric Debarbieux du 4 janvier 2010, puis rapport de Eric Debarbieux : Refuser l’oppression quotidienne : La prévention du harcèlement à l’école, le 12 avril 2011. Les assises sur la harcèlement à l’école eurent lieu les 2 et 3 mai 2011.

[7] Cf « Le Bouc émissaire » de René Girard. Paris. Grasset. 1982

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